D’ombre et de lumière
Exposition de photos de Touhami Ennadre le 05 juin à la villa des arts de Rabat
Hands of the world 1978-82 © Touhami ENNADRE
Les photos de Touhami Ennadre sont un coup de poing dans le ventre. Le ciel qui vous tombe sur la tête. Chacun de ses clichés est un condensé d’émotions fortes, une remise en question de tout. Remise en question de ce que vous avez pu lire ou apprendre sur l’ombre et la lumière, sur le noir et le blanc. Remise en question de ce que l’on a pu vous dire sur les voleurs d’images, sur leurs intentions et leurs secrets du métier. Touhami Ennadre vous pétrifie, ne vous laisse pas indemne.
Le photographe, dont la renommée n’est plus à faire dans le monde (il est bardé de prestigieux prix) et pourtant si rare et méconnu dans son propre pays, est un génie. Sans abus de langage aucun. Son travail, comparé aux peintures de Van Gogh et aux poèmes de Rimbaud, a l’intensité et la force propres à ceux qui marqueront à jamais l’histoire de l’art. Touhami Ennadre, fils de l’ancienne médina de Casablanca devenu parisien, n’a rien des photographes d’aujourd’hui. Aucun artifice dans ses clichés, aucune technique sophistiquée, mais un appareil auquel il a enlevé définitivement le viseur, en faisant du coup une extension de son bras et un capteur de cette “lumière noire” qui fait sa marque de fabrique. Ses portraits d’Américains face au 11 septembre, ses photographies de poissons aux yeux exorbités, d’animaux dépecés et de mains entrelacées, sont le regard qu’il porte sur “la violence, la misère et la mort”. Un regard comme il en faut pour nous ouvrir les yeux.
TelQuel n° 327
Trance1993-2004 © Touhami ENNADRE
Sur le site de photographe marocain, natif de Casablanca et Habitant Paris, vous pouvez lire ces mots écrits par lui même:
" Le sens de mon travail est de faire ressurgir l’essentiel, il n’est jamais illustratif. Mes photos dépendent uniquement de la rencontre et de ma lumière. Je travaille dans le mouvement et je n’utilise pas de viseur. Il n’y a pas d’intermédiaire entre mon regard et le sujet. Je suis mon propre viseur. Comment peut-on photographier en fermant un œil et en lorgnant par un trou de serrure ? Pour moi, un appareil photo n’est pas un fusil à lunette. Être présent, regarder directement est une façon d’échapper au voyeurisme.
Je travaille en 6 x 6 cm. Je développe moi-même mes rouleaux et tire le tout en épreuves de travail ; ensuite, j’opère une sélection de l’ordre d’une photographie sur trente ou quarante et constitue la série sur laquelle je vais travailler. Commence alors un très long travail. A titre d’exemple, le tirage d’un grand format avec tout ce que cela représente d’essais et de dessins et de découpages des caches, demande un minimum de 12 heures de travail.
Mes agrandissements sont uniques, d’un format proche de 1,30 x 1,50 m. Uniques non pas par refus de la duplication, mais par la nature de mon travail. En effet, pour chaque photographie, je dessine une série de caches et module les temps d’exposition; si une photographie peut être voisine, elle ne sera jamais identique, d’où l’unicité et le fait que mon œuvre relève de l’art plastique autant que de la photographie. Je dois toujours trouver ce noir qui éclaire, qui donne un sens au drame. La lumière est dans l’acte qui t’emmène au noir le plus profond."
New York Nine-Eleven 2001 © Touhami ENNADRE