Sauvons Ahidous !
Je ne sais pas si vous allez partager mon point de vue subjectif concernant la situation périlleuse que vit Ahidous, la danse n° 1 d'Imazighen du Maroc central, puisque durant ces 50 ans de l'accession du Maroc à l'indépendance, le discours officiel de l'Etat marocain et médiatique a réduit cette danse collective à un produit touristique, donc commercialisable, alors qu'Imazighen le considère comme étant un art à part entière. Explications.
Maestro du groupe Ytto Tazelmadt, AchloujAchlouj © PhotoAyour
Danse collective accompagnée de chant, Ahidous n'est pas seulement le divertissement préféré d'Imazighen du Maroc central, c'est surtout leur moyen d'expression le plus complet et le plus vivant, comme l'indique Jean Robichez in Maroc central (éd. Arthaud 1946).
Danse mixte rythmée au tambourin, Ahidous n'est pas seulement ces scènes de danses qu'on nous présente dans les festivals, moussems et sur les deux chaînes nationales (RTM et 2M), c'est surtout une école. Une école d'apprentissage sociétal par l'intermédiaire d'outils culturels, selon Houcine Dmami (Tawiza n° 74 mai 2003).
Joueurs aux bendirs en attente de leur rôle © PhotoAyour
On le danse à l'occasion des moindres cérémonies et même, l'été, après la moisson, presque tous les soirs, dans tous les villages. La plus grande majorité dImazighen, natifs des villages et petites villes du Moyen et de l'Anti Atlas et du versant nord du Haut Atlas, le maîtrisent parfaitement. C'est un patrimoine collectif, un héritage ancestral qui se transmet de génération en génération.
Les danseurs se mettent en cercle (la géométrie circulaire est l'originale, Ahidous se pratique ainsi dans certaines régions comme chez Aït Seghrouchen de Talssint), en demi-cercle, sur deux rangs, hommes seuls et femmes seules, ou en une seule rangée, hommes et femmes alternés, étroitement serrés, épaule contre épaule. Ils forment un bloc.
Groupe Taymat d'Almis Marmoucha © PhotoAyour
Tout le monde peut y participer sans exception de sexe ni d'âge, à condition d'être correctement habillé, surtout pour les hommes. Une Djellaba blanche (Taqbbout) et d'un turban blanc (Taâmamt) ou jaune (Chech) et bien sûr de bien maîtriser la danse. Les excellents occupent le centre de la scène, les autres les deux marges.
La danse est rythmée par un seul instrument: le Tambourin (Alloun, Aydim, Bendir)et par des battements de mains. Les mouvements de bras, d'épaules et de pieds sont synchrones et collectifs, et l'on se déplace d'un mouvement à un autre suivant le signal donné par le meneur de la danse (Aâllam, dorénavant appelé Maestro*).
C'est un piétinement, un tremblement qui se propage, entrecoupé d'ondulations larges, coups de vent sur les champs de blé, si l'on reprend l'expression de J.RpbichezJ.Rpbichez. Cet ensemble et cet esprit de groupe témoignent d'un sens de rythme remarquable. Toutefois, tous faisant le même geste en même temps, c'est surtout un ensemble de juxtaposition qu'Ahidous présente et enseigne. En ce sens, il est très caractéristique de la mentalité d'Imazighen.
Echaffement des Bendirs © PhotoAyour
Le sens mystique d'Ahidous ne se dégage pas nettement de la danse. Celle-ci accompagnée d'un chant qu'on appelle Izli (pl. Izlan). C'est un poème d'une extrême concision, généralement en deux versets, avec un refrain qui se répond. Izli est lancé par un poète (Anchchad) sur un air qui varie selon les tribus et qui évolue dans le temps. Le refrain est repris par le poète rival puis se répète durant la danse apr les danseurs. La moitié répète sa première partie, la deuxième la seconde.
Izlan sont souvent improvisés et Ahidous peut être l'occasion de joutes poétiques, dans lesquelles les poètes essaient d'émettre les mots d'amours, valorisant les vertus de leurs propres régions, critiquant la situation sociale et s'opposant sur les événements politiques locaux, nationaux et internationaux comme c'était le cas en octobre 2001 lorsque deux poètes s'opposaient sur la légalité/l'illégalité des attentats du 11 septembre en Amérique.
Poésie purement orale, Izlan sont familiers à tous. On les chante, on les cite fréquemment, les meilleurs franchissent les limites du groupe, certains passent en proverbes.
Lehcen Querbij, Asso. Tittawine, Tassiouant © PhotoAyour
Cependant, si Ahidous a pu conserver son âme, son esprit dans les montagnes, il n'a pas pu, ailleurs, échapper à certaines déformations, comme c'est le cas dans les festivals et moussems qui prétendent la promotion de la culture amazighe mais tombent dans le piège de la folklorisationfolklorisation en reproduisant le même discours officiel qui consiste à présenter Ahidous, et les autres expressions artistiques du Maroc, en tant que produit touristique, donc commercialisable.
Les visiteurs de ces événements, dits culturels et artistiques, ne peuvent pas y goûter en la splendeur d'un art où la danse, le chant et la poésie s'entremêlent pour donner naissance aux sentiments les plus nobles qu'ils soient.
Ce qui me fait de la peine le plus, c'est que l'IRCAM (l'Institut Royal de la Culture AMazighe) participe à cette tragédie en finançant la plupart de ces événements qui nuisent à l'une des composantes de l culture qu'il prétend promouvoir.
Quelle différence entre ce danseur qui a touché 50 Dh
pour sa participation au festival Adrar de Boulemane
et ceux qui en touchent des milliards de centimes en
une séance d'une heure ou presque?
© PhotoAyour